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Du labo au conseil en stratégie : Arthur Sarazin
Dans cette série de portraits, découvrez le parcours de chercheurs qui ont fait le pari du conseil pour avoir un impact plus grand. Passés de la recherche à la pratique, ils reviennent sur leurs trajectoires professionnelles et les choix qui les ont menés du laboratoire à l’accompagnement stratégique des COMEX.
4 décembre 2024
Quel est ton parcours académique ?
J’ai commencé mes études à Sciences Po Grenoble avec un master en finance, un domaine qui ne me destinait pas forcément à la data science. Initialement, je n’avais aucune idée que je me tournerais vers les données. Ce n’est qu’en 2017, en commençant mon doctorat, que j’ai vraiment plongé dans les données ouvertes. Mon doctorat portait initialement sur leur potentiel pour alimenter la réflexion et designer des projets de Smart Cities.
Mon parcours n’a pas été linéaire, mais cette diversité m’a permis d’acquérir une flexibilité intellectuelle et une palette de compétences variées.
Pourquoi t’es-tu orienté vers la recherche ?
Ce qui m’a attiré dans la recherche, c’est la possibilité d’explorer des sujets complexes et mal définis (la littérature scientifique parle de wicked problems). J’étais fasciné par l’idée de démêler et comprendre comment les données ouvertes, produites par des acteurs publics, pouvaient être exploitées pour transformer nos villes et services publics.
C’est assez dingue quand on y réfléchit, le volume d’informations accessibles via la donnée produite par les acteurs publics. On peut connaître la consommation énergétique des bâtiments publics, comme accéder aux cartographies des territoires enrichies via les jeux de données de l’IGN. Je voulais définir le processus de création des services innovants à partir ce des données, qui amélioreraient la vie des citoyens.
L’aspect intellectuel de la recherche, cette quête de réponses à des questions encore floues, exerce un pouvoir d’attraction fort sur moi !
Sur quels travaux portait ta thèse ?
Au départ, ma thèse devait s’intéresser à l’impact des données ouvertes dans la construction des Smart Cities. Cependant, j’ai vite réalisé que cette thématique, promue notamment par IBM, était un concept plus commercial que scientifique. Il manquait de fondements solides. J’ai donc rapidement décidé de réorienter mes recherches sur la méthodologie de conception de produits basée sur les données ouvertes.
La donnée ouverte, c’est une matière un peu bizarre qui n’est pas figée dans le temps, une forme de construction sociale qui peut donner lieu à un tas de débats, il y a un grand flou méthodologique. Ça me passionne aussi bien du point de vue de la valorisation des données que du point du système d’informations pour les piloter.
J’ai travaillé sur plusieurs cas pratiques, comme l’optimisation de la collecte des déchets dans des métropoles telles que Grenoble et Lyon. Mon objectif était de développer une approche scientifique permettant de créer des produits data utiles et réutilisables.
Quelles sont les compétences que tu as développées et dont tu as eu besoin pour réussir ta thèse ?
Pour réussir ma thèse, il m’a fallu maîtriser plusieurs compétences clés. J’ai dû plonger dans les méthodologies de data science, apprendre à valoriser les données ouvertes et à concevoir des produits basés sur ces données.
J’ai également appris à équilibrer théorie et pratique, en appliquant des concepts théoriques dans des contextes réels, notamment en collaborant avec des villes pour créer des solutions concrètes. Enfin, il m’a fallu développer une réflexion poussée quant aux questions éthiques liées à l’utilisation des données publiques, notamment sur les pratiques de redistribution des résultats et l’interaction avec des communautés ouvertes.
L’exemple parfait, c’est celui de Covid tracker, le site de statistiques et visualisations de données Covid19. Crée bénévolement par Guillaume Rozier, cette initiative a grandement aidé les services publics durant la pandémie et a toute mon admiration.
C’est une démarche contributive dont je suis imprégné.
C’est une démarche contributive dont je suis imprégné.
Ce partage de connaissances, cette mise en commun se rapproche de la philosophie liée à la pratique de l’alpinisme : dans une cordée, le premier « ouvre » la voie, c’est-à-dire qu’il découvre la roche ou la glace pour son second en même temps qu’il pose toutes les sécurités nécessaires pour permettre la progression de la cordée. Le premier pense pour deux.
Comment la recherche a-t-elle influencé ta carrière professionnelle ?
La recherche m’apporte énormément dans mon travail actuel. Aujourd’hui, dans le cadre du conseil en stratégie et data, j’utilise les compétences méthodologiques que j’ai développées durant ma thèse pour prototyper des solutions basées sur les données. Mon expérience de la recherche me permet d’aborder des projets data avec une rigueur scientifique tout en gardant à l’esprit la praticabilité et les applications concrètes. La modélisation des données et la capacité à concevoir des solutions adaptées à des contextes spécifiques sont devenues des compétences centrales dans mes missions, sans jamais cesser de me poser la question
« est-ce que ce que l’on développe est optimal ? est-ce que cela créé de la valeur ? ».
« est-ce que ce que l’on développe est optimal ? est-ce que cela créé de la valeur ? ».
Mon propos c’est d’affirmer qu’un produit peut effectivement générer un chiffre d’affaires, avoir une valeur économique en soi tout en générant de la connaissance scientifique.
J’ai longtemps tenu un carnet de recherches (dataflow.hypotheses.org), je continue de l’alimenter lorsque le cadre non confidentiel le permet.
Je vais refaire un parallèle avec ma passion pour l’alpinisme : dans la conception comme en montagne, j’ai tenté beaucoup de choses et je teste en permanence, recevant du feedback sous forme de sensations, de retours clients ou de nouvelles connaissances. Je tente à chaque fois de maitriser plus clairement la valeur créée et la connaissance découverte.
Quitte à parler d’influence, je peux évoquer Hevner, un chercheur américain qui a écrit un premier papier en 2004 sur l’idée de créer de la connaissance scientifique avec un produit commercial et qui est à l’origine de cette approche qu’on appelle la design Science Research Méthodology. Elle ne vient pas de naître, Herbert Simon, prix Nobel d’économie 1978 abordait déjà l’utilisation de l’économie à des fins de conception.
Si tu devais le refaire, traiterais-tu tes travaux différemment ?
Si je devais refaire ma thèse, je pense que j’aurais consacré plus de temps à l’apprentissage d’un langage de programmation dès le départ. Cela m’aurait permis d’être plus autonome dans le prototypage de produits.
Mis à part cela, je suis satisfait de mon parcours. J’ai su construire une approche scientifique singulière, allier recherche théorique et travail appliqué, ce qui m’a permis d’acquérir une expertise unique.
Pourquoi avoir choisi de travailler pour un cabinet de conseil en stratégie et data science plutôt que de poursuivre une carrière universitaire ?
J’ai choisi de rejoindre Veltys, après avoir passé déjà quelques années chez Datactivist parce que je voulais appliquer mes recherches dans des contextes réels, accompagner la conception de produits et avoir un impact direct.
Dans le monde académique, les publications peuvent parfois sembler abstraites et déconnectées des besoins concrets des organisations.
Dans le conseil, je peux prototyper des solutions, apprécier les résultats, et travailler avec des clients variés sur des projets concrets.
C’est une satisfaction intellectuelle quasi immédiate que je ne trouve pas dans la publication scientifique.
Cela étant, à travers mon rôle de consultant, je poursuis toujours mes ambitions intellectuelles. La plus ambitieuse consiste à transposer le concept de Flow dans l’interaction et l’expérience utilisateur avec les données (la littérature scientifique parle de Human-Data-Interaction). Cette fluidité dans la pensée qu’on atteint dans un cadre intense de concentration m’inspire pour imaginer une approche similaire dans les interactions avec la donnée. J’aspire à créer un « data flow » où chacun pourrait atteindre cet état de satisfaction et de concentration optimisée et vivre une expérience utilisateur ultime ; quel que soit son niveau de familiarité avec la donnée. Et évidemment, le partager.
Aussi Veltys m’apporte cette ouverture sur l’intelligence artificielle.
En ce moment, je travaille sur un projet qui permettra à une intelligence artificielle de naviguer dans les différents « nœuds » d’une organisation, d’en comprendre les relations (par exemple entre la direction marketing et celle des ventes) et d’identifier des interactions entre services et bases de données. En analysant ces liens complexes, l’IA peut découvrir des éléments invisibles pour nos capacités cognitives limitées, notamment dans des contextes comprenant de nombreuses directions et bases de données. Ce projet combine sciences sociales et mathématiques dures pour modéliser la réalité sociale des organisations.
J’ambitionne avec ce projet d’apporter à notre client une représentation claire et interactive de sa structure, bien au-delà d’un organigramme statique. Une compréhension exploitable en condition réelle de la vie de l’entreprise.
Quels aspects de la recherche ne te manquent pas ?
Il y a plusieurs aspects de la recherche académique qui ne me manquent pas du tout. D’abord, la pression constante de publier des articles (le fameux « Publish or perish ») qui peut dégrader la qualité des travaux. Ensuite, il ne faut pas nier l’existence d’une compétition qui peut se révéler parfois féroce entre laboratoires et parfois au sein d’un même laboratoire.
C’est un environnement probablement stimulant dans la compétition sportive que j’ai eu tendance à ne pas trouver tout à fait approprié à la science.
Mon approche est de faire de la science comme on fait de la montagne, où l’on est concentré sur nos propres objectifs, notre progression et notre sécurité, sans jamais chercher à empêcher la progression des autres, bien au contraire.