Les impacts de l’intelligence artificielle sur les métiers et les modèles économiques
Veltys Data & IA Veltys StratégieNous nous situons sans doute dans une phase d’entre deux, où, après de nombreuses promesses et des investissements importants, l’IA semble peiner à remplir ses promesses en termes de gains de productivité.
Cela s’explique par le fait que l’IA, et notamment l’IA Générative, est sans doute une nouvelle forme de General Purpose Technology. A l’instar de la vapeur, de l’électricité ou de l’informatique, l’IA a le potentiel pour transformer en profondeur l’ensemble de la société. Néanmoins, pour donner leur pleine mesure, les GPT demandent des investissements extrêmement importants, tant au niveau des actifs physiques que des actifs intangibles (organisation du travail, investissement dans la formation, cf[1] Brynjolfsson et al., 2021). Il existe donc un décalage entre l’apparition de la technologie, avec ses premières utilisations, et sa dissémination et son appropriation par l’ensemble de l’économie, du fait du coût de ces investissements. Ce délai peut conduire à une sous-estimation à court terme des effets des GPT sur la productivité[2].
On l’observe dans la différence entre les échelles micro, sur des postes dédiés, où l’impact de l’IA est élevé et documenté, et les niveaux méso (l’entreprise) et macro (l’ensemble de l’économie ou de la société) où les effets sont à date limités.
Au niveau micro, plusieurs études ont déjà montré des gains significatifs :
- Les agents conversationnels permettent des gains élevés de productivité pour les personnes en charge des relations clients (14 % en moyenne et 34 % pour les personnes novices[3]). Ces gains de productivité se traduisent à la fois par une baisse du temps consacré à chaque tâche et une hausse de la qualité globale de la production (de respectivement 40 % et 18 %[4].
- Ces gains seraient particulièrement élevés pour certaines tâches, comme la rédaction de code (-55 % de temps de code dans certaines expérimentation[5]).
- Les effets sont également possibles dans la production d’idées. Des chercheurs assistés d’IA pourraient ainsi être plus productifs : certaines expérimentations montrent ainsi une augmentation des dépôts de brevet de presque 40 %[6].
Si ces effets sont visibles au niveau individuel, les impacts dans les entreprises au global commencent seulement à être perceptibles, et devraient aller en accélérant. Pour la France, on constate ainsi une augmentation de la productivité pour les entreprises qui ont adopté l’IA, même si celles-ci étaient déjà plus productives avant l’adoption[7]
Les débats les plus intenses se portent aujourd’hui sur l’impact macro-économique de l’IA, difficilement décelable à l’heure actuelle, à la fois en termes d’effet sur la croissance, mais aussi sur l’emploi. En particulier, il existe de nombreuses questions sur le potentiel d’automatisation des emplois, tant en volume qu’en composition, l’IA ayant le potentiel, contrairement à d’autres modèles de toucher d’abord les métiers les plus qualifiés. Aghion et Brunel (2024[8]) ont proposé une approche permettant de comprendre les enjeux de cette littérature, en séparant notamment :
- La part des tâches automatisables par l’IA. Les études varient fortement dans ce domaine, avec des estimations allant de 18 à 68 %
- La part des tâches qu’il est rentable d’automatiser. Les IA représentent un coût, important dans certains cas. Les évolutions rapides du secteur, à la fois dans la qualité des modèles, mais également dans la baisse des coûts des GPUs ou des coûts d’entraînement (cf. DeepSeek) sont prometteurs. Cependant, les auteurs nous invitent à la prudence sur les prévisions. Ils estiment que le passage à l’IA serait rentable pour 23 % à 80 % des tâches automatisables.
- Les gains de productivité permis par l’IA, qui seraient compris entre 20 et 40 % (cf. infra).
Via cette approche, les auteurs estiment que le gain sur la productivité sera de 0,7 % par an.
L’approche développée par Aghion et Brunel permet de comprendre que les effets de l’IA au niveau macro-économique vont en grande partie dépendre de la structure économique du marché de l’IA. Plus spécifiquement :
- La rentabilité de l’automatisation va directement dépendre du coût des technologies. Le marché de l’IA, et notamment de l’IA générative, est aujourd’hui largement dominé par les géants du numérique, qui pourraient poser à terme des problèmes concurrentiels, limiter la baisse des coûts et poser de fortes barrières à l’entrée dans le secteur (soit du fait des moyens financiers disponibles, soit du fait du potentiel d’intégration verticale /rachat de concurrents). A ce titre, la mise en place d’acteurs comme DeepSeek, présentant des coûts d’entrainement a priori plus faibles pour des résultats de qualité pourrait permettre d’envisager un maintien d’une concurrence suffisante, et donc une baisse de coût. Cet enjeu de concurrence est extrêmement important pour espérer une diffusion de ces technologies.
- Les gains de productivité et le rapport coûts bénéfices varient entre secteurs, et demandent des entrainements spécifiques. Comme le souligne Daron Acemoglu, la concentration de l’IA générative autour de quelques acteurs du numérique conduit à mettre l’accent essentiellement sur l’autonomisation dans certains secteurs (ex. la publicité) et conduit à négliger des secteurs entiers, et surtout toutes les perspectives autour de la collaboration homme / IA. Pourtant, la complémentarité entre l’homme et la technologie est aujourd’hui considérée comme l’une des clés de l’innovation, plus qu’une simple substitution de l’homme par la technologie[9].
L’impact de l’IA n’est donc pas figé et dépendra en grande partie de l’organisation de ces acteurs.
Cet article d’Arthur Souletie est extrait d’un livre blanc Veltys.
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Une invitation à garder un œil critique pour faire de l’intelligence artificielle un véritable moteur d’une transition efficace et maîtrisée.
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